- Mois-Sonneur
- Mis en ligne le
Mois-Sonneur #127 : Il se passe quoi quand un studio ferme ?
Le mois de Février est derrière nous, l'occasion de le résumer avec un Mois-Sonneur. Et en guise de question du mois, on discute de fermeture de studios, ce qui semble avoir pris le relais des licenciements dans le monde du jeu vidéo. Mais, des studios qui ferment, on en a vu par le passé, et ce n'est pas toujours uniquement une mauvaise chose, surtout sur la longueur. On discute de tout ça dans la vidéo et dans le texte ci-dessous.
Désolé, on ferme
On peut parfois l’oublier mais un studio de développement de jeu vidéo, cela reste une entreprise comme une autre, au sens où elle doit maintenir ses comptes à flots, elle peut être possédé par un groupe plus grand, et elle peut disparaître. On parle alors de fermeture de studio, un concept devenu courant dans notre langage depuis une quinzaine d’années, accompagnant la montée en professionnalisme de l’industrie.
Et finalement, on traite souvent ces informations de la même façon, relayant le communiqué officiel, rappelant le contexte et passant à autre chose, pris dans le tumulte du quotidien. Il y a pourtant beaucoup de choses à dire sur ces fermetures, notamment du côté humain puisque ce sont d’abord des personnes qui perdent leur emploi ou se retrouvent obligées de changer de bureau, de quartier, de ville ou même de pays. Les fermetures récentes de NetEase Seattle, Monolith Productions, Firewalk Games et Player First Games sont une bonne occasion de se pencher sur cette question.
Plusieurs fermetures de studios ont, par le passé, été largement documentés, notamment par le journaliste Jason Schreier qui en a tiré le livre Press Reset. Et les anecdotes se ressemblent beaucoup, que ce soit pour les causes de la fermeture que pour le déroulement du processus et même les répercussions. Je vais m’appuyer sur plusieurs de ces histoires pour la réflexion de cet article.
La situation la plus simple à comprendre, et qui a souvent le moins de conséquences sur le long terme, c’est la fermeture suite à des projets ratés sur le plan économique. Un studio a travaillé plusieurs années pour réaliser son jeu qui est allé au bout du processus mais n’a pas rencontré le public en nombre suffisant. Cela peut autant être un raté très spectaculaire comme Concord ou un raté plus relatif comme The Callisto Protocol. Le premier ne s’est vendu qu’à quelques dizaines de millier de personnes, le second en a réunies quelques millions. Mais dans les deux cas, les frais n’ont pas été couverts, mettant les entreprises dans une sale situation. Firewalk Studio a déjà mis la clé sous la porte, Striking Distance Studios pas encore mais on s’y attend d’un moment à l’autre.
Dans ce genre de cas, les équipes ont pu s’exprimer et s’arrêtent sur un échec. Surtout, entre le moment des retours décevants et les procédures de fermeture, il se passe souvent quelques semaines. Un temps suffisant pour permettre à chacun de faire le point, de prendre ses affaires et se dire au revoir, avec le sentiment d’être arrivé au bout d’un projet. Cela ne réduit pas la problématique de perdre son emploi, mais le sentiment n’est vraiment pas le même qu’une fermeture en plein milieu d’un développement. Ce genre de fermeture ne donne pas grand chose en conséquences, chacun repartant dans son coin vers de nouvelles aventures, pendant que les éléments de propriété intellectuelle sont au mieux vendu au plus offrant, au pire détruits.
Le meilleur exemple de cette situation est très certainement le studio allemand Mimimi Games qui a fabriqué quelques jeux de stratégie très sympathiques mais qui rentraient de moins en moins d’argent. Les patrons ont pris la décision de s’arrêter au moment de la sortie de leur dernier jeu, cette annonce permettant à tout le monde de s’organiser tranquillement tout en payant toutes les créances. L’entreprise s’est arrêtée sans dette, sur une bonne note, mais personne n’a repris le flambeau, ni même ses licences qui n’auront donc jamais de suites ou de spin-of.
De l’autre côté, il y a les fermetures brutales, celles qu’on ne suspecte pas et qui coupent tout le monde en plein vol. Ce sont les cas d’Irrational Games, de Lionhead Studios, de Telltale Games, et plus récemment Monolith Productions ou NetEase Seattle pour n’en citer que quelques-uns. Certains de ces studios étaient embourbés dans les problèmes mais la fermeture paraissait loin au moment de l’annonce. C’est en réalité le choix d’un propriétaire qui doit satisfaire des investisseurs, ou des gérants complètement pris de cours suite au retrait de quelques financiers.
Le processus de ces fermetures commence avec le moment d’annonce qui apporte toute sa brutalité. On a le cas du mail envoyé au milieu de la nuit et découvert au petit matin (comme chez NetEase Seattle), la sortie de réunion qui invite tout le monde à sortir sur le champs avant de fermer les bureaux (coucou Telltale Games), la réunion impromptue dans le réfectoire pour annoncer la mauvaise nouvelle à tout le monde (comme pour Irrational Games) ou le point sur le parking avec séparation des employés en deux groupes, l’un étant renvoyé quand l’autre doit changer de bureau.
C’est par exemple ce qui est arrivé à 2K Marin qui n’arrivait pas à se structurer proprement suite à un management compliqué chez Take-Two. L’arrivée au bureau s’est arrêtée sur le parking pour tout le monde, avec le DRH qui place chacun à gauche ou à droite, invitant l’un des groupes à aller au rez-de chaussé quand le second a le droit d’aller à l’étage. Finalement, le groupe d’en bas peut rentrer chez soi sans emploi, l’autre groupe étant conservé pour monter Hangar 13, une nouvelle structure dont le nom est une boutade un peu déplacée.
Donc, au milieu de ce processus très critiquable est né un tout nouveau studio, avec une nouvelle organisation pour mieux avancer. Cela a donné Mafia 3, Top Spin 5 en attendant Mafia the Old Country. Les anciens collègues n’avaient pas fini leur aventure ensemble, certains ont eu le loisir de reprendre leur souffle et de continuer leur histoire commune. Et ce schéma se retrouve régulièrement dans ce cas.
La fermeture d’Irrational Games a été un énorme choc. Le développeur de Bioshock et Bioshock Infinite a été brutalement fermé suite à la décision du créateur Ken Levine de prendre un peu de repos et de repartir avec une plus petite équipe. Take-Two ne voulait pas prolonger la vie du studio sans son fondateur, ce que personne n’avait vu venir. Et même si le studio venait de livrer son dernier projet, plusieurs personnes travaillaient déjà sur de nouvelles idées qui allaient tout droit à la poubelle.
Ken Levine a bien suivi son programme ce qui a mené à la création de Ghost Story Games et au jeu Judas, qui devrait finir par sortir. De leur côté, les développeurs ont, pour certains, décidé de se retrouver pour concrétiser leurs idées. Parmi les nombreux studios montés, on compte The Molasses Flood qui a sorti The Flame in the Flood puis Drake Hollow avant d’être racheté par CD Projekt RED. Une belle trajectoire qui contraste avec tous les autres projets, qui ont aujourd’hui quasiment tous disparu.
Le même schéma s’est appliqué à la fin de Mythic Entertainment pour donner naissance à Enter the Gungeon. Il y a donc un chemin où ces fermetures brutales donnent naissance à des jeux indépendants dont certains arrivent à faire surface auprès d’un large public. Pour les autres, c’est surtout un processus qui permet de passer à autre chose en ayant essayer de donner vie à ses rêves.
Mais avec la vague actuelle de fermetures massives de studios apparaît une nouvelle voie, celle des reprises quasi-totales d’une équipe restée soudée. C’est aussi l’évolution globale de l’industrie qui veut cela ; ce n’est pas toujours très malin de laisser partir une équipe compétente qui a été mal gérée par un autre. Et si le rachat n’a pas pu se faire pour différentes raisons, autant sauter sur l’occasion.
C’est ce qu’il s’est passé avec Tango Gameworks, détenue par Bethesda donc détenue par Microsoft, et qui a produit un Hi-Fi Rush jugé très positif, sans être une énorme machine à cash. Xbox devait dégraisser pour plaire à ses actionnaires et c’est le studio japonais qui en a fait les frais. Et pas le temps d’organiser une vente, il est préférable de liquider la société et ainsi s’éviter les coûts des salaires, juste pour rentrer dans le calendrier fiscal.
Heureusement, l’éditeur Krafton a senti le coup et s’est rapproché de l’équipe. Et si Xbox n’avait pas envie de perdre du temps en négociation, cela a permis à une grosse partie de l’équipe de rester ensemble, le temps que toute la structure soit remontée. Quelques mois sans emploi, certains sont d’ailleurs partis ailleurs, mais Tango Gameworks est revenu d’entre les morts, et en conservant ses propriétés intellectuelles. Un peu ce qu’à fait Telltale Games sur une plus longue temporalité, mais avec des pratiques un peu moins propres qui pourraient ne pas donner grand chose.
Mais il est bon de rappeler que Tango Gameworks a été coupé en même temps qu’Arkane Austin qui venait de rater très largement Redfall. Et personne ne s’est présenté pour sauver les employés. Moins de talents ? Une structure plus bancale ? Moins de licences fortes? Toujours est-il qu’Arkane Austin, même sous un autre nom, appartient bien au passé et que ses employés ont dû refaire leur CV et lettres de motivations. Au moins ils ont pu rester dans la région d’Austin au Texas vu la concentration de studios dans ce coin là.
Même s’il existe aujourd’hui de nombreuses portes de sortie à la fermeture d’un studio, cela reste un évènement traumatisant pour les personnes qui y ont fait face. On perd tout, sur le plan professionnel, en un claquement de doigt. Et si certains s’en servent comme une opportunité qui peut parfois donner de belles histoires, la majorité des personnes impactées n’ont pas droit au “Happy end”. La très dure réalité d’une industrie qui est d’abord là pour amasser de l’argent, que ce soit en nous divertissant ou non, que ce soit au prix de ses employés ou pas.
Commentaires
- Aucun commentaire sur cet article.
Ajouter votre commentaire
Écrire un commentaire en tant qu'invité