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    Mois-Sonneur #117 : Quelles révolutions dans le jeu vidéo ?

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Après beaucoup de sujets économiques dans le monde du jeu vidéo, pourquoi e pas traiter un sujet technique dans le Mois-Sonneur ? Et ça tombe bien, le mois de Mars 2024 a été très calme, on peut donc s'attaquer à un sujet très généraliste des révolutions technologiques à venir dans le jeu vidéo, en imaginant toutes les pistes. Pour compléter la vidéo, vous retrouvez ci-dessous un texte plus complet sur ce sujet.

La révolution permanente

Que ce soit en tant qu’art s’appuyant sur la technologie ou en tant qu’industrie, le jeu vidéo a déjà vécu de grandes transformations, que l’on peut même qualifier de révolutions. La crise de 1983 qui a mené aux consoles de salon comme nous les connaissons aujourd’hui et donné naissance à des studios comme Activision, Electronic Arts ou encore Ubisoft est certainement la première qui vient en tête. Mais on a aussi l’arrivée du support CD, la troisième dimension spatiale, le jeu en ligne, les DLC et mises à jour ou encore le monde ouvert, pour citer quelques éléments marquants qui ont transformé le jeu vidéo vers ce qu’il est de nos jours.

Je l’ai déjà écrit de nombreuses fois, le monde du jeu vidéo semble plus que jamais au bord de grands changements depuis quelques mois, et la GDC (Game Developper Conference) de 2024 a permis de discuter un peu du futur, en s’appuyant sur les récentes sorties et leurs problématiques de développement. Tout cela quelques semaines après que Microsoft et Sony ont ouvertement discuté de la fin théorique du principe d’exclusivité comme on l’a connu depuis plus de 40 ans.

C’est certainement la première révolution qui va tout bousculer dans nos habitudes. Les constructeurs de consoles ont compris que la manne financière est maintenant du côté des ventes de jeux, et non du matériel. C’est d’ailleurs la conclusion qu’avaient atteint Google ou Amazon, les conduisant à vite ralentir leur développement de systèmes en cloud gaming. Le futur, à long terme, sera pourtant surement fait de systèmes assez simples en local pour se connecter à de grands centres de calcul via internet. Il faudra alors alimenter tout cela avec des jeux, et la guerre sera alors entre les différents catalogues d’abonnements où le principe d’exclusivités pourrait renaître, un peu comme ce que l’on peut voir entre Netflix et Amazon Prime.

Pour assurer cette transition, il va falloir que la production de jeux suive le rythme et ce n’est pas encore assuré. Les studios ont grossi, un peu n’importe comment et sans vraiment s’organiser, gardant les modes de fonctionnements des débuts. Le mode “garage” a mené au crunch, aux harcèlements divers et à des gestions de projet catastrophiques, d’autant plus que la taille des jeux et des équipes augmentait. Il existe notamment beaucoup d’histoire autour de Naughty Dog qui s’est mis à dérailler autour d’Uncharted 4, une situation qui s’est poursuivi sur The Last of Us 2 avec de gros problèmes en interne.

Lors de la GDC 2024, c’est Bethesda qui s’est exprimé sur ce sujet par le prisme de ses quêtes, et notamment de sa quête principale. L’équipe est passée d’une centaine de personnes sur Skyrim à plus de 500 pour Starfield. Ce que cela change, c’est qu’une modification de quête se faisait en une journée sur Skyrim, il suffisait d’en discuter dans le couloir avec les quelques collègues en charge. Sur Starfield, la moindre modification demandait plus d’une semaine parce qu’il faut maintenant prévenir son directeur d’équipe, qui remonte à son directeur et ainsi de suite de sorte à ce que les graphismes, l’animation, le scénario et la bande son soient bien raccord avec la nouvelle proposition qui est parfois très minime. Cela allonge toutes les procédures et les développeurs se sont retrouvés à terminer la quête principale dans l’urgence, transformant la séquence prévue pour gagner du temps de développement.

Une organisation similaire a été évoquée par CD Projekt RED concernant les quêtes de Cyberpunk 2077. Pour un meilleur résultat global puisque les équipes étaient mieux organisées. Cette question de l’organisation des développeurs va conduire à de grands changements qui ressortiront aussi sur les contenus produits. Il faut maintenant, pour les gros jeux, sortir des univers vastes avec un grand nombre de quêtes et des détails partout, ce qui devrait être fait sur un mode industriel, sans amener beaucoup de créativité. Cela est lié aux questions de licenciements qu j’ai déjà évoquées dans le Mois-Sonneur #116, et dont la résolution pourrait intervenir à moyen terme.

Dans cette réorganisation des développements, on peut aussi tabler sur une adaptation du flux global de la création d’un jeu. Entre l’idée initiale et la sortie, il y a une phase de pré-production dans laquelle on arrête les grandes lignes puis une phase de production où on rentre dans le vif du sujet. Lorsque ces phases sont mal respectées, on obtient la situation de Bioware pour Anthem où les aller-retours entre les concepts sont si nombreux que plus personne ne sait vraiment présenter le jeu à quelques semaines de sa sortie. Le futur devrait donner une plus grande place au prototypage et à la pré-production, pour réduire le temps en phase de production autour des deux ans.

Pour aider à ces prototypages plus efficaces, qui sont d’ailleurs évoqués par les développeurs dans un sondage réalisé par le moteur Unity, il y a justement les moteurs de jeux, et en particulier l’Unreal Engine 5. Les technologies s’homogénéisent un peu partout dans l’industrie et un graphiste ou un scénariste peuvent maintenant créer eux-même des petites séquences de jeu à montrer à leur direction, sans passer par des techniciens spécialisés. Les créatifs peuvent donc plus facilement exposer leur vision.

Avec ces moteurs, la révolution du prototypage devrait passer par l’utilisation des IA génératives, ou plus précisément des systèmes algorithmiques d’apprentissage automatique utilisant des réseaux de neurones profonds et des couches d’attention. Ces technologies, qui servent dans le commerce à ChatGPT ou à Dall-E, sont déjà utilisées pour la création de textures, la génération de textes, le développement d’animations plus fluides et même le doublages de certains personnages. L’idée est d’utiliser cette technologie en phase de pré-production, là encore pour accélérer le processus en donnant des idées aux développeurs, et pas en remplaçant purement et simplement des emplois.

Ces technologies d’IA génératives vont aussi servir à des studios plus petits, en coordination avec des moteurs comme l‘Unreal Engine 5, qui pourront alors proposer des rendus photoréalistes qui leur étaient jusque-là interdits. Dans ce cas, cela pourrait aider la créativité puisque les tâches les plus techniques ne bloqueraient plus les artistes de tout bord. J’ai aussi en tête le système MetaHumans d’Epic Games qui permet d’intégrer des personnages d’un réalisme saisissant, là encore accessible à n’importe qui.

En plus de ces changements derrière les rideaux, je prédit aussi une petite révolution dans le gameplay, une révolution qui s'appellera le gameplay multiplicatif. Le terme a été prononcé par les développeurs de The Legend of Zelda Tears of the Kingdom lors de leur présentation très suivie à la GDC 2024, un terme utilisé en interne comme guide de pensée à suivre dans le développement du gameplay.

Pour faire simple, l’idée est née au moment de The Legend of Zelda Breath of the Wild. Pour rendre les interactions dans le jeu plus vivantes et plus cohérentes avec un environnement ouvert naturaliste, il fallait enlever des scripts habituels et les remplacer par un système physique complet. C’est cette dernière idée qui a été poussée à l’extrême dans Tears of the Kingdom, pour permettre aux joueurs de fabriquer les objets de leurs rêves, sans créer des scripts de fonctionnements pour tous les alliages possibles.

Cela donne des jeux où les joueurs peuvent être inventifs et improviser une solution, un élément de gameplay qui semble être très apprécié par le public. C’est une notion qui est ressortie du jeu de l’année 2023, Baldur’s Gate 3 proposant de très nombreuses combinaisons pour se sortir de situations périlleuses. Et en 2024, Dragon’s Dogma est salué pour le même genre de chose, avec la possibilité de simplement jouer avec la physique du monde pour se débarrasser d’ennemis.

Cette idée va aussi s’imprégner dans le déroulement du scénario. Là encore, Baldur’s Gate 3 va donner des idées aux autres, en s’appuyant sur ce que faisait déjà Divinity Original Sin 2. Le créateur Ken Levine, derrière les Bioshock, en a d’ailleurs parler lors de la présentation de Judas aux journalistes. Le jeu solo en couloir a fait son temps et lorsque les bonnes mécaniques techniques seront au point, on ne jurera que par des jeux ouverts, en gameplay multiplicatifs et en Lego narratifs, des jeux qui proposeront des aventures plus intimement personnalisées que jamais.

Nous sommes à l’heure actuelle sur le seuil de ces nombreux changements d’ampleur. Les premiers devraient commencer à prendre effet dans quelques mois, les plus complexes ne prendront leur envol que dans une ou deux années. Et dans ces temps, de nouvelles révolutions pourraient bien être en chantier, comme cela a été le cas dans l’histoire du jeu vidéo jusque là.

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