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Mois-Sonneur #113 : Activision-Blizzard, et après ?
Le mois d'Octobre 2023 a de bonnes raisons de rentrer dans l'histoire du jeu vidéo, surtout grâce à ses sorties d'un niveau rarement vu. Mais peut-être que l'histoire retiendra plutôt la finalisation du rachat d'Activision-Blizzard par Microsoft, un évènement presque passé inaperçu tellement on l'a attendu et qu'on a tout dit dessus en amont. On va quand même revenir sur cette histoire dans ce Mois-Sonneur, avec une version écrite un peu plus poussée en dessous de la vidéo. Comme toujours, n'hésitez pas à donner votre avis en commentaire et à partager autour de vous.
Le Monde d’après
En début d’année 2022, il y a 20 mois, nous écrivions que l’annonce du rachat d’Activision-Blizzard par Microsoft représentait une bombe à l’échelle de l’industrie du jeu vidéo. La poussière est retombée, la détonation a bien eu lieu et le contrat est paraphé, contre près de 70 milliards de dollars. L’opération a déjà causé pas mal de mouvements que nous avons pu discuter sur différents formats ces derniers temps, il n'empêche que la vie continue, et qu’il va falloir apprendre à évoluer dans un nouveau monde, dans un nouveau paysage.
Le premier gros changement concerne Activision-Blizzard en premier. Le plus gros éditeur tiers de l’industrie n’est plus et devra maintenant se plier aux bons vouloir d’une entreprise plus grande, pour la première fois depuis sa création il y a pas loin de 40 ans. Sauf que cela ne devrait pas être trop douloureux. D’abord parce qu’Activision-Blizzard est déjà une grosse société qui a beaucoup évolué et qui possède donc une solide structure hiérarchique déjà habituée à se plier aux modes du moment et aux choix de son propriétaire. Pour la plupart des employés, les choses ne vont donc pas beaucoup bouger même si les conditions de travail devraient s’améliorer à en croire les syndicats sur place.
Il y a quand même la question des jeux qui seront développés et du suivi des projets déjà sur le marché. La réponse à cette question est très différente selon la temporalité envisagée, dans le futur ou dans le passé. Dans un avenir proche, pas de raison de paniquer pour le prochain Call of Duty qui est garanti par contrat pour les 10 prochaines années. De même, le suivi des récents Overwatch 2 et Diablo 4 devrait se faire sans trop de discussion tout comme le support des plus anciens World of Warcraft et Starfield 2. La question sur le long terme est beaucoup moins empreinte de sûreté, notamment pour les 4 derniers jeux évoqués. Parce qu’il faudra avant tout se conformer aux besoins du Game Pass, qui ne sont peut-être pas compatible avec des Game as Services vivants sur le temps long. Mais il est encore beaucoup trop tôt pour se prononcer définitivement, il faut juste garder à l’esprit que le modèle développé par Blizzard sera nécessairement discuté dans quelques mois.
Je viens d’évoquer le Game Pass, cela devient le centre de tous les regards. Microsoft passe à la deuxième phase de son plan et dispose désormais de 10 000 employés supplémentaires pour alimenter son service à abonnement. Le modèle économique dominant de l’industrie s’apprête à basculer vers les plateformes de streaming avec abonnement, et il y a maintenant les armes nécessaires pour rendre le service viable à grande échelle, et dans tous les genres.
Pour que cette vision devienne une réalité, il va quand même falloir que le constructeur américain s’organise mieux que ce qu’il a fait jusque-là. Le rachat de Bethesda a mené à Starfield, plutôt une réussite, mais aussi à Redfall, plutôt un raté. Ces deux projets avaient déjà démarré avant la fusion mais leur gestion a amené beaucoup d'interrogations, comme la gestion de tous les autres studios de développement labellisés Xbox. La politique était à la carte blanche la plus totale, une position qui devient plus que jamais ridicule. Avec toutes ses forces, Microsoft devrait être le moteur de l’industrie en matière de qualité, avec la possibilité de mettre des centaines d’experts dans leur domaine en relations sur un projet commun.
Ce changement d’organisation a déjà commencé avec le départ de Pete Hines, ancien patron de Bethesda. Le studio s’est retrouvé avec un nouveau patron, le même que toute la division de développement de jeux Xbox. Mais il ne sera pas facile de faire collaborer tout le monde tant certaines rancunes sont tenaces. Demandez à Obsidian Entertainment, InnXile Entertainment et Bethesda de travailler ensemble sur un RPG et vous verrez les vieilles guerres de chapelle revenir plus vite qu’imaginé. Ajouter les studios affiliés à Activision dans cette marmite ne sera pas chose aisée. Mais s’il y arrive, Microsoft pourrait bien renverser la table face à son rival de toujours.
Ce rival, Playstation, doit d’ailleurs enchaîner les réunions sans trouver de réponse à la façon dont se préparer à ce futur. Les infrastructures ne sont pas prêtes pour passer à de l’abonnement et le développement de quelques très gros jeux tous les ans n’est peut-être pas un modèle économique viable dans ce nouveau contexte. On voit d’ailleurs un conflit apparaître entre les studios qui ont raflé tous les honneurs ces derniers temps et la direction qui préfèrerait faire du Game as Service vite-fait, vite-joué, vite-oublié mais très rentable. Ce sera la première tâche du futur patron de Playstation, tout en ayant en tête que la place de leader du secteur est certainement sécurisée sur cette génération de console, donc jusqu’en 2026 au moins.
Le reste de l’industrie aussi va être impacté par cette histoire, à commencer par Ubisoft qui émerge comme un des vainqueurs d’un combat auquel il n’a presque pas participé. L’éditeur français hérite de la gestion en cloud gaming des licences d’Activision-Blizzard, un domaine qu’il ne maîtrise pas à l’heure actuelle mais qui pourrait lui rapporter beaucoup d’argent si les planètes s’alignent. L’idée est d’obtenir un flux monétaire constant qui permettrait d’éponger les développements compliqués, qui sont maintenant légions comme le prouve Beyond Good and Evil 2, Skull and Bones ou encore XDefiant pour ne donner que quelques exemples.
Cette situation pourrait permettre à Ubisoft de devenir le plus gros éditeur tiers de l’industrie du jeu vidéo, un titre désormais vacant mais toujours aussi inutile si ce n’est pour l’honneur des investisseurs. Electronic Arts et Take Two pourront aussi se lancer dans cette bataille, espérons que cela amène de bons jeux très ambitieux et pas des valeurs sûres vues et revues mais à la rentabilité plus assurée. Et si la tête du classement se réorganise, cela pourrait aussi faire des appels d’airs sur l’ensemble de la chaîne d’édition, c'est-à-dire sur des entreprises comme Square Enix, THQ Nordic ou encore Devolver Digital, pour donner quelques exemples.
Ces mouvements pourraient bien aussi amener quelques entreprises satellites à venir prendre leur place. J’ai en tête Tencent et Amazon, Google ayant jeté l’éponge. On sait que des gros se tiennent dans l’ombre, une période de trouble pourrait donc ouvrir des portes. On peut aussi penser à l’Arabie Saoudite ou à Disney à partir duquel des rumeurs de gros rachat sont apparues, notamment envers EA. Et puisqu’on vient d’accepter une transaction à près de 70 milliards, on se dit que tout ce qui sera en dessous n’aura pas de mal à passer.
Tout ceci nous dessine un futur du jeu vidéo fait de méga-structures concentrant une grande partie des emplois du jeu vidéo pour produire des jeux sur un rythme constant, peut-être avec moins de qualité. Il y a un parallèle à faire avec le monde du cinéma qui s’est structuré aux Etats-Unis autour de quelques gros studios de production dont le but est de remplir les salles. C’est une façon de produire qui n’a rien à voir avec le monde indépendant qui est plus libre mais aussi plus exposé aux crises. En somme, c’est le vieux dilemme entre la liberté et la sécurité. Le monde du jeu vidéo est donc peut-être en train de créer ses structures sécuritaires. Il existera toujours une place pour la liberté des indépendants mais pour le reste, l’avenir est fait de contrôle et de quantité avant la qualité. C’est peut-être tout simplement une évolution naturelle d’un milieu industriel, dont un grand pas vient d'être effectué.
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